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Auch et le « Noyau Auscitain »

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Auch et le « Noyau Auscitain »

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Évolution progressive de la Résistance dans le Gers

Les résistants de 1940 ont une préoccupation identique : essayer de ne pas subir ou mieux « faire quelque chose ». Mais les refus et les diverses formes d’opposition, les actions sporadiques commises en ordre dispersé ne débouchent pas sur ce que l’on pourrait appeler un mouvement de résistance. Il faudrait pour cela que les « résistants » se reconnaissent entre eux et se groupent afin d’agir plus efficacement. La chose n’est pas facile car on ne sait pas, au juste, où sont les « camarades » potentiels. Un ami de longue date, un homme politique sûr, sont ceux que l’on recherche en premier lieu pour se confier ou chercher une directive.

Monsieur Henri Sarie, chef de division à la préfecture du Gers jusqu’en avril 1941, reçoit une de ces visites vers septembre 1940 : celle du rédacteur départemental de « La Dépêche », Paul Eldin. Sa question est la suivante : que faut-il faire ? Du reste, c’est en ville que se nouent le plus facilement les contacts, singulièrement dans cette salle de café, chez Daroles. Ça se passe entre amis d’avant-guerre. Après la démobilisation, ils se retrouvent avec à la même idée : refuser la défaite. Il s’agit donc du vétérinaire Georges Daubèze, du directeur du Cours complémentaire Ernest Vila, du professeur de lycée, Jean Bourrec leur benjamin et de quelques autres qui font plutôt partie de la bonne société de la ville. Sans doute les conciliabules vont-ils bon train, alimentés par les bonnes nouvelles: l’échec progressif des Allemands pendant la Bataille d’Angleterre ou le débarquement des Britanniques en Crète.

Qui sont-ils ?

Ernest Vila (7 Juillet 1898 – 21 Décembre 1950)

Titulaire du Brevet supérieur pour l’Enseignement primaire, obtenu à l’École normale d’Auch le 28 mars 1917, il s’engage peu après au 14e R.l. de Toulouse.
Au Front, il est cité à l’ordre du Régiment, puis du Corps d’Armée pour sa conduite exemplaire au feu. Revenu à la vie civile, il est nommé instituteur à Saint-Clar (Gers).

À la veille de la guerre de 1939, il exerce ses fonctions à l’École d’Application de la rue de Metz à Auch. Vila a formé avec Mauroux et Daubèze, le premier noyau de résistance à Auch et dans le Gers, affilié au mouvement « Liberté », fondé par François de Menthon. Les consignes d’action données par la feuille clandestine de même nom sont suivies. Grand sportif, Vila et quelques prosélytes tracent de nuit, à la craie, des « V » surmontés de la croix de Lorraine, sur les murs des bâtiments publics, les boîtes aux lettres, les poubelles. En novembre 1941, il fait partie de l’équipe qui doit réceptionner un parachutage prévu à Saint- Jean-le-Comtal mais l’avion est vainement attendu. Son appartenance à la loge maçonnique « Les Cadets de Gascogne » d’Auch, qui le compte parmi ses dignitaires, étant découverte, Vila est révoqué de l’Enseignement en décembre 1941. Il trouve alors à s’employer, comme administratif, à la carrosserie Dubos, route d’Agen à Auch. C’est là qu’il reçoit les délégués cantonaux de l’organisation « Combat » qui a pris la suite de « Liberté ». L’invasion de la Zone Libre par les Allemands, le 11 novembre 1942, détermine Vila à choisir la clandestinité d’autant qu’à mi- année, la Direction régionale de « Combat » l’a désigné comme chef départemental du mouvement. Il devient l’hôte à ce moment-là d’Alexandre Baurens à Beaucaire-sur-Baïse, agriculteur à «la Tuilerie», d’où il va désormais diriger la Résistance gersoise, devenue les M.U.R. (Mouvements Unis de la Résistance) grâce à un réseau d’agents de liaison dont le gendarme révoqué Thos. Il y reçoit la visite de Jean Bourrec, resté en fonction à Auch, en fait la cheville ouvrière du mouvement de par sa qualité de secrétaire général des M.U.R. Pour l’ensemble des résistants, Vila est «Vannier», qui signe les notes les plus importantes et prend les décisions engageant la Résistance. La Police allemande ayant fait des coupes sombres dans les organisations de Résistance en novembre et décembre 1943 et sa résidence du moment risquant d’être repérée par la Milice, Vila doit trouver un autre logeur. Il apparaît, d’autre part, du fait des grands événements qui se préparent, que son rapprochement d’Auch est nécessaire. Vers le 10 février 1944, il s’en vient à Pessan, chez Auguste Sempé tout en se rendant périodiquement à Auch pour rencontrer les responsables des services, Il n’est pas touché par la rafle du 10 mars 1944 mais doit procéder à une nouvelle répartition des fonctions. Il lui appartient de mettre sur pied le futur Comité Départemental de Libération, avec la participation des responsables politiques et syndicaux, en conformité des statuts arrêtés par le Conseil National de la Résistance le 25mars 1944. Le 23mai 1944, il informe M. Dechristé de sa nomination comme Préfet du Gers à la Libération du département. Il procède par ailleurs aux nominations des chefs militaires qui entreront en action lors du débarquement allié. Lorsque celui-ci a lieu, le 6 juin 1944, et de jour en jour, Vila voit son autorité renforcée alors que le pouvoir vichyste chancelle. Le 8août 1944, il préside la première réunion du Comité départemental de la Libération au Château de «La Trouquette » à Pessan. Les événements se précipitant, il s’oppose à l’ordre donné par le commandement régional FFI d’attaquer les Allemands dans la place d’Auch et arrête avec le chef départemental Lesur un plan d’investissement de la ville qui n’aura d’ailleurs pas à être exécuté car les Allemands partent d’eux-mêmes le samedi 19 août après-midi. Dans la nuit qui suit, il signifie au Préfet de Vichy, Pierre Caumont, sa destitution. La légalité républicaine rétablie, Vila continue d’assurer la présidence du CDL (Comité départemental de Libération) jusqu’au remplacement de celui-ci par le Conseil Général, issu des élections des 23 et 30septembre 1945. Il a été réintégré symboliquement comme instituteur à l’École de la rue de Metz le 2 octobre 1944 et promu à la classe exceptionnelle de l’emploi. Mais en avril1946, tout en continuant de dépendre de l’Éducation Nationale, il est nommé en qualité d’inspecteur de l’Éducation Physique et des Sports à la Direction départementale du Gers. Il en devient peu après le chef de service. Membre du Parti socialiste S.F.l.O. avant-guerre, mais sans activité réelle, Vila avait donné son adhésion au Parti communiste français au cours d’une réunion publique tenue le 14mai 1946 au théâtre municipal d’Auch, « convaincu de mieux servir la République et la France ».

 

Jean Bourrec (18mars 1910 – 19 février 1982)

Parents enseignants, lui- même professeur adjoint au Lycée d’Auch. Contacté par Ernest Vila pour faire partie du mouvement de Résistance qui se crée à Auch fin juin 1941. Il s’agit alors, pour l’essentiel, de diffuser la feuille clandestine de « Liberté » et de faire des adeptes dans la ville. Jean Bourrec se montre déjà très actif, étant d’ailleurs le plus jeune de l’équipe. La Résistance tenant à se manifester lors de la venue du général Laure à Auch, le 26juillet 1941, il est décidé de tracer au coaltar des «V» surmontés de la Croix de Lorraine sur les balises des Ponts et Chaussées. Bourrec prend à son compte la sortie de la ville vers Tarbes et exécute seul les graffitis. En novembre de la même année, il appartient au petit groupe chargé de réceptionner un parachutage à Saint-Jean-Le-Comtal mais qui ne se produit pas. En mars 1942, il est nommé professeur à Lille (Nord) où il reste jusqu’en décembre tout en exerçant une activité dans le réseau polonais d’évasion F2. De retour à Auch, il va mettre toute son énergie à rassembler les différents mouvements de Résistance qui ont vu le jour dans le Gers, à l’instar des Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) créés par Jean Moulin au plan national. Il a pour cela de nombreux rendez-vous avec les divers responsables. Le chef des M.U.R. Ernest Vila étant passé dans la clandestinité, c’est Jean Bourrec, sous le pseudo de « Barrère », en sa qualité de secrétaire général des Mouvements Unis, qui assure toutes les tâches au chef-lieu : liaisons avec le Centre Régional de Toulouse, avec les délégués cantonaux, réception des agents en mission, courrier, rédaction des tracts à caractère local et leur duplication, fausses cartes d’identité, règlement des petits litiges, etc. Par deux fois, il refuse la proposition du Centre de Toulouse qui désire lui confier des responsabilités au plan régional. Malgré les précautions prises, son activité débordante n’échappe à personne. Avec d’autres résistants auscitains, il est arrêté à son domicile, 75 rue de Metz, dans la matinée du 10 mars 1944 par la Gestapo et conduit à la prison Saint Michel à Toulouse. Il est déporté en Allemagne le 15mai suivant où il connaît les camps de Buchenwald et de Dora. Il est libéré le 2 mai 1945 mais très amoindri physiquement. Jean Bourrec retrouve ses fonctions de professeur adjoint, est nommé au Lycée Louis Le Grand à Paris dont il va devenir le bibliothécaire. Il passe sa retraite à Auch et garde des contacts étroits avec ses anciens camarades de Déportation.

Georges Daubèze (29 mai 1892 – 24 juin 1972)

 Vétérinaire, établi à Auch 11 rue Raspail ; ancien combattant 1914- 1918. Armée d’Orient de 1917 à 1918, avec le 40e R.I. Cité à l’Ordre du régiment. Il est personnellement abouché avec le réseau Bertaux de Toulouse, lequel reçoit à Fonsorbes (H.G) deux agents gaullistes dans la nuit du 13 au 14 octobre 1941. Daubèze offre sa propriété du « Petit Princeau » à Saint-Jean-le-Comtal devant recevoir à son tour un parachutage, jamais arrivé. Alors qu’un nouveau terrain a été choisi (chez Sempé à Pessan) deux inspecteurs de la Surveillance du Territoire, se faisant passer pour des résistants désireux de visiter le terrain, mettent Daubèze en état d’arrestation. Il est incarcéré, avec une quinzaine de Toulousains compromis dans l’affaire, à la prison militaire Furgole à Toulouse. Il s’en sort avec une peine d’emprisonnement, suivi d’un internement à Meauzac. Il est finalement remis en liberté le 25 novembre 1942. Il revient à la Résistance qui le charge des relations avec le mouvement de résistance militaire, représenté par le Capitaine De Neuchèze de l’ex 2e Dragons d’Auch. Il lui est également attribué le Service de Réorganisation Politique (R.O.P). Son pseudo est alors « Dantec ». Le 10 mars 1944, il est arrêté à son domicile, cette fois-ci par la Gestapo de Toulouse, ainsi que d’autres Auscitains dont Jean Bourrec. Il est alors conduit à la prison Saint Michel à Toulouse d’où le 12mai 1944, il prend le chemin de la déportation. Il connaît le camp de Buchenwald et le Kommando de Harzungen. Libéré par les Américains, il est de retour à Auch le 30 avril 1945 où il lui est fait un accueil triomphal. Il apprend qu’il a été élu la veille au Conseil municipal de la ville. Il est élu par la suite premier adjoint au maire Adrien Nux et siégera au Conseil municipal jusqu’en 1959. Il est également élu conseiller général (socialiste S.F.I.O.) d’Auch-Nord, la même année.

G.L.
Source : Fonds Labédan et enquêtes orales.