Hauts Lieux de Mémoire du Gers

ORDAN-LARROQUE (Stèle Yvan BRU)

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ORDAN-LARROQUE (Stèle Yvan BRU)

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L’embuscade de Saint-Jean-de-Bazillac (Récit de Georges HÉNON), alias « STANIS »

«Dans l’après-midi, je me rends donc sur les lieux à bicyclette et effectue une reconnaissance détaillée. Au sud de la R.N. 124, à 400 mètres de la bifurcation avec la R.N. 130 en venant d’Ordan, soit à 7 hm d’Auch, je découvre un emplacement propice : un long taillis, profond d’une dizaine de mètres, qui surplombe de trois mètres environ la route au nord de laquelle des champs dévalent vers un ruisseau. J’en repère aussi les cheminements d’accès et de repli qui seront suivis partie à pied, partie en voiture. Le chef Amsler ayant accepté mes propositions, je dîne avec la section. Son moral me paraît très élevé, sa cohésion sans fissure. Vient alors le moment le plus délicat : la désignation des douze chasseurs qui m’accompagneront. Car il ne faut vexer personne. J’y parviens, non sans difficulté, tout le monde voulant participer à l’opération. Mon groupe comprendra : Boisserand, Yvan Bru, De Postis, jouvin, ‘Maloche alias Platon », Vielcanel, Parage, Pruvost, Schmitt, et Streiff. Un seul d’entre eux a déjà reçu le baptême du feu : Boisserand, le tireur au fusil-mitrailleur. Dans le maigre arsenal dont nous disposons, je choisis avec soin l’armement léger que nous emporterons : un fusil-mitrailleur, des mitraillettes, des grenades Gammon contre véhicules et des grenades contre personnel. Enfin, je fais préparer un véhicule de transport : une «Traction avant Citroën» familiale utilisant comme carburant un mélange d’alcool et d’éther, l’essence faisant défaut.(1)

Le 14 juillet, à 4 heures du matin, nous nous mettons en route. Par des chemins vicinaux, la voiture nous conduit dans le fond d’un vallon boisé, à deux kilomètres au sud du lieu de l’embuscade. Là, j’indique à mes chasseurs, sur un croquis, l’emplacement que chacun doit occuper et je leur donne les consignes qu’ils auront à observer. Les rôles étant distribués, je laisse le chasseur Schmitt à la garde du véhicule, et, sans bruit, à pied, mon groupe gagne le taillis. Nous y sommes installés avant que la circulation ait repris sur la R.N. 124. Mon dispositif est simple : au centre, avec moi, le fusil-mitrailleur, son tireur, son chargeur et un guetteur ; de part et d’autre une équipe de quatre volontaires placés à une dizaine de mètres les uns des autres. Nous dominons une longue portion de route en ligne droite qui, à 450 mètres vers l’est, après la bifurcation, se continue par une forte descente avec virages. J’avais précisé que le feu serait déclenché par une rafale de mitraillette, à l’initiative du chasseur d’extrême gauche lorsque la tête d’une colonne venant de droite serait à sa hauteur; à l’initiative du chasseur d’extrême droite dans le cas contraire. Alors, le fusil-mitrailleur entrerait en action et toutes les grenades seraient lancées dans le minimum de temps. Puis, on décrocherait aussitôt, en couvrant le repli par des tirs s’il en était besoin. La matinée entière s’écoule sans incident. Les esprits sont tendus par la longue attente lorsque vers 12 h.30, Streiff, le guetteur, annonce «Les Allemands à droite !» Au virage qui précède la bifurcation apparaît, en effet, un motocycliste, suivi d’un camion. Je fais rentrer le guetteur dans le taillis et ordonne de prendre les dispositions de combat. Quelques minutes s’écoulent… Le convoi défile devant nous… Lorsque le premier véhicule arrive à sa hauteur, le chasseur Parage, situé à l’extrême gauche, ouvre le feu. Une fraction de seconde après, tout le groupe exécute les gestes prescrits. Au milieu des explosions des grenades et du tir du fusil-mitrailleur, les Allemands sautent des camions, se réfugient derrière le talus opposé et ripostent à balles explosives. Très vite, c’est un enfer de mitraille où on respire une forte odeur de poudre. Chacun commence à engager un combat singulier à la mitraillette. Mais, l’effet de surprise passé, il ne faut pas s’attarder. Je donne donc l’ordre de rompre. A regret, chacun obéit. Il est temps, car le convoi est beaucoup plus important qu’il n’était apparu initialement. Dans la côte, des camions de queue avaient dû prendre du retard. Et, au cours du repli, je m’aperçois que leurs occupants, ayant mis pied-à-terre, essaient de nous déborder. J’estime alors que nous avons affaire à 120 Allemands environ, transportés sur six véhicules. Soutenant à tour de rôle Matoche, blessé, nous nous hâtons vers la «traction avant» où nous nous entassons. Celle-ci démarre bien mais s’arrête une cinquantaine de mètres plus loin. Sous les balles, nous l’abandonnons et nous nous éloignons. En cours de route, nous nous arrêtons dans une ferme pour confectionner une civière avec deux perches et une couverture. Mais dix minutes ne se sont pas écoulées que l’un de mes guetteurs signale l’arrivée d’éclaireurs ennemis. Nous repartons et arrivons au cantonnement vers 15 h.30, exténués. Lorsque je procède à l’appel, je constate qu’il manque Boisserand, Bru, Jouvin et l’un des frères Streiff. Le chef Amsler rend compte à Françot qui décide de dépêcher une centaine de volontaires à leur recherche, quitte à reprendre le combat. Je les guide. En arrivant sur les lieux de l’embuscade, nous apprenons que les Allemands viennent de partir après avoir fouillé toutes les fermes des environs. Au bout de peu de temps, nous découvrons le corps d’Yvan Bru, tué d’une balle dans le dos, probablement au cours du repli, par les Allemands qui tentaient de nous déborder sur notre droite. Il sera enterré le lendemain au cimetière de Saint-Jean-de-Bazillac, à l’issue d’une cérémonie religieuse que les circonstances obligeront à rendre très brève. Quant aux trois disparus, nous les trouvons à notre retour, auprès de nos véhicules. Pris sous le feu au moment du décrochage, ils s’étaient réfugiés dans une buse enterrée sous la route, obstruée en son milieu par un éboulement. Et là, ils avaient entendu, pendant plusieurs heures, les Fritz s’affairer pour transporter dans des ambulances leurs morts et leurs blessés, enlever aussi un camion, mis hors d’usage par les grenades Gammon. Jouvin et Streiff en étaient sortis indemnes mais Boisserand avait été blessé au pied par un éclat de grenade. »

Cet épisode, qui aurait pu être tragique, mérite quelques explications complémentaires. Les Allemands, au cours de la reprise des initiatives contre les maquisards, s’étaient bien aperçus de l’existence d’une importante buse ovale (1 m de haut et 0,50 m de large) servant à l’écoulement des eaux lors des orages, située sous la route et débouchant dans le profond fossé plein de hautes herbes bordant la nationale. Streiff, Alsacien, du fond de sa cache, entendit nettement un gradé donner l’ordre de jeter une grenade dans cette sorte de tunnel dans le but de neutraliser tout maquisard qui aurait pu s’y cacher. La grenade manqua son but et vint éclater en bordure de la buse, néanmoins un éclat blessa notre camarade Boisserand, les trois maquisards n’ayant pu s’enfoncer davantage dans le tunnel en raison de l’éboulement qu’ils rencontrèrent. Mécontent, l’Allemand lâcha dans l’axe de l’ouverture du tunnel une rafale de mitraillette ; or, en raison de la déclivité de la conduite, par rapport à l’axe de tir, que ne pouvait soupçonner le tireur, les balles vinrent frapper le haut de la buse sans toucher personne. Ce fut une grande chance cette fois pour nos trois maquisards.

(1) La Citroën familiale était une voiture suffisamment spacieuse pour contenir 12 hommes en se serrant un peu …

La Section STANIS
Yvan BRU est accroupi au premier rang, 2ème en partant de la droite