Hauts Lieux de Mémoire du Gers

Baseden Yvonne  (Odette)

L'histoire complète

Baseden Yvonne (Odette)

Retour Revenir à la fiche

Elle fut l’une des « espionnes françaises de Churchill », comme les a appelées l’historienne allemande Monika Siedentopf dans Parachutées en terres ennemies. Yvonne Baseden, à qui le Times a rendu hommage, est décédée le 28 octobre 2017. Née à Paris en 1922 d’un père anglais et d’une mère française, elle fut parachutée en France pendant la Seconde Guerre mondiale pour organiser la Résistance dans le Jura, en tant que membre du SOE, le service d’espionnage créé par le « Vieux Lion ». Un parcours hors du commun.

Peu connue du grand public, Yvonne Baseden n’a jamais écrit ses mémoires et est intervenue dans de rares documentaires (notamment Robert et les Ombres de Jean-Marie Barrère en 2004). Pourtant, elle a survécu au pire : l’arrestation, la torture, la déportation en camp de concentration. Elle ne devra sa survie qu’à… son anonymat.

Elle est âgée de 15 ans quand ses parents, grands voyageurs, finissent par poser leurs valises à Londres, après un long périple à travers l’Europe (France, Belgique, Italie, etc.). Le 18 juin 1940, à 19 ans, Yvonne Baseden entend l’appel du général de Gaulle et demande à s’engager dans la France libre, ce qui lui sera refusé au motif que son père est britannique. Elle s’engage alors dans la Women’s Auxiliary Air Force comme employée de bureau. Elle gravit rapidement les échelons et devient sous-lieutenant (Assistant Section Officer) en décembre 1941 puis officier en octobre 1942. Mutée au service de renseignements de la Royal Air Force, elle se distingue notamment lors d’interrogatoires d’aviateurs allemands.

Odette et Lucien

L’année suivante, en mai 1943, elle est affectée au SOE (Special Operations Executive ou Direction des opérations spéciales), créé en juillet 1940 par Winston Churchill et dissout le 30 juin 1946. Souvent surnommée « l’armée secrète de Churchill », le SOE est chargé de soutenir les différents réseaux européens de Résistance. Le recrutement de femmes n’y sera autorisé qu’en 1942. Yvonne Baseden, qui reçoit le nom de code « Odette », y suit à son arrivée une formation d’opératrice radio.

Yvonne Baseden est parachutée dans les Landes, près de Gabarret dans les Landes à la limite du Gers, dans la nuit du 17 au 18 mars 1944. Avec Gonzague de Saint-Geniès, alias « Lucien », elle est réceptionnée par une équipe du réseau « Wheelwright », le réseau gersois du fameux agent SOE « Hilaire ». Chargée de la mission « Scholar » dans le Jura, qui vise à fédérer et coordonner les différents maquis, elle se rend avec son chef à Dole en tant qu’opératrice radio. Elle s’occupera également des parachutages d’armes en provenance de l’Angleterre.

« Les Allemands ne savaient pas que j’étais un agent »

Le 26 juin 1944, « Odette » participe à l’opération « Zebra », premiers parachutages massifs d’armes en plein jour en France. L’un des quatre parachutages massifs s’est situé à Lays-sur-le-Doubs (Saône-et-Loire), à 25 km au sud-ouest de Dole. 36 bombardiers ont largué 423 containers, et la réception a mobilisé deux cents hommes en bénéficiant de l’aide de la gendarmerie et de la police. Les containers ont aussitôt été répartis entre les embryons de maquis qui ont participé à la réception. L’armée allemande réagit (barrages routiers, ratissages, patrouilles, arrestations de militants repérés). Il s’agit à tout prix de capturer les armes avant qu’elles ne soient mises en œuvre contre la Wehrmacht. L’opération ayant été un succès, les membres du réseau Scholar se réunissent le lendemain dans une fromagerie de Dole, surnommée la Maison des orphelins, pour fêter cette réussite. Mais alors que la fête bat son plein, un maquisard, chargé de la valise-radio d’Odette, a été arrêté à un barrage à proximité. Pensant que ses chefs avaient quitté le lieu de rendez-vous depuis longtemps, il finit par donner l’adresse du refuge aux Feldgendarmes (policiers militaires allemands), qui font bientôt irruption dans la fromagerie. Ils découvrent sur place une table dressée mais… aucun convive. Alertés au dernier moment, les Résistants ont à peine eu le temps de se cacher. L’un des policiers, attiré par un bruit provenant du grenier, tire au plafond. Des gouttes de sang perlent bientôt entre les planches. C’est le sang de « Lucien », touché par la rafale. L’Allemand appelle ses camarades. Une grenade est lancée dans le double toit. Blessé, Saint-Geniès, alias Lucien, se suicide en avalant sa pastille de cyanure.
La plupart des membres du réseau, qui étaient cachés dans le grenier, sont alors arrêtés, ainsi que des badauds présents dans la fromagerie. Yvonne Baseden et presque tous les autres sont battus et menottés deux à deux, moribonds compris.

Ne rien avouer

Par chance, Yvonne Baseden est munie de faux papiers sous l’identité de « Jeanne Bernier ». Feignant l’incompréhension, elle sera emprisonnée et torturée pendant de longs mois, sans jamais révéler son nom ou livrer son réseau. Les Allemands n’ont jamais su qu’elle était membre du SOE. Le 25 août 1944, elle est emprisonnée à Sarrebruck puis déportée le 4 septembre 1944, au camp de concentration de Ravensbrück, à l’âge de 23 ans. Elle écrira après la guerre : « Les Allemands ne savaient pas que j’étais un agent. J’avais juste été raflée avec un tas d’autres et je n’avais sur moi ni documents compromettants ni rien du tout. Le fait qu’il n’y ait eu aucun document m’a sauvé la vie. » Elle survivra et rejoindra l’Angleterre au printemps 1945, où elle passera neuf mois dans un sanatorium.

Après la guerre, Yvonne Baseden accompagne son mari en Rhodésie (Zambie) et travaille comme attachée commerciale. Mariée en 1948 et veuve en 1966, elle épouse Anthony Burney en secondes noces.

Elle ne voulait plus parler de ses expériences dans la guerre, mais a donné une brève interview à l’écrivain et journaliste Sarah Helm. Elle est également apparue dans un documentaire français de Jean Marie Barrère (Robert et les Ombres) dans lequel elle a rencontré, 60 ans après les événements, deux des combattants de la résistance du réseau Wheelwright qui étaient sur le terrain quand elle a été parachutée. Yvonne Baseden a reçu la Légion d’honneur en 1996 et s’est éteinte en octobre 2017 à l’âge 95 ans.