Hauts Lieux de Mémoire du Gers

Moreau Maurice

L'histoire complète

Moreau Maurice

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Une expérience militaire précieuse

En 1942, lorsque le maréchal des logis Moreau se trouve dans l’armée d’armistice au 2e Régiment de Dragons d’Auch il  a déjà affronté par deux fois les Allemands.
La première fois en mai 1940, lors de l’attaque allemande en  Belgique. Mais son régiment se replie rapidement et atteint la poche de Dunkerque où les Anglais évacuent hâtivement leurs troupes. Moreau fait partie des Français embarqués avec eux et il se retrouve à Londres. Après l’enfer de Dunkerque, c’est le paradis, tous ces soldats sont choyés par la population anglaise ; mais cette situation ne dure pas pour lui car, dans l’armée française en déroute, au sein de la débâcle, il a encore quelques bribes d’organisation et les soldats français arrivés en Angleterre fin mai sont renvoyés en France pour reconstituer des unités. C’est ainsi que Moreau se retrouve au début du mois de juin en Bretagne.
Il est immédiatement réaffecté dans une unité blindée et se trouve à nouveau face aux Allemands dans le centre de la France. Au cours des brefs combats qu’il va encore livrer, Maurice Moreau échappe à la mort. Son véhicule blindé léger est touché par un obus allemand et tous les occupants sont tués sauf lui. Lorsque Pétain sollicite un armistice les Allemands demandent aux Français de leur donner leurs armes puisque la fin de la guerre est annoncée. Moreau n’est pas du genre à leur obéir et, profitant de la confusion, il disparaît avant que les Allemands ne puissent le rejoindre. In fine, il se retrouve dans l’armée d’armistice, toujours dans la cavalerie, à Auch.
À la dissolution du régiment en novembre, Moreau choisit de combattre en France au sein de l’ORA ; avec le lieutenant Puga, il s’installe à Manciet à l’hôtel Baron, devenu aujourd’hui la Bonne Auberge. Puga et Moreau placent d’anciens militaires chez les paysans et leur fournissent de fausses identités avec l’aide du maire de Cazaubon, Fernand Sentou. Moreau reçoit déjà l’aide de l’abbé Talès, le curé de Panjas.

Devant l’afflux des réfractaires au STO, en mars 1943, Maurice Moreau crée un chantier forestier à Berdoues, sous l’autorité du Capitaine de Neuchèze de l’ex Régiment de Dragons qui, pour avoir une couverture, s’est fait nommer adjoint au responsable des Eaux et Forêts pour le département.
À la fin du mois de mars, Maurice Moreau livre chez Louis Dalès à Nogaro 163 mousquetons modèle 1916, une mitrailleuse Hotchkiss, un fusil-mitrailleur et des pistolets automatiques anglais ; ces armes proviennent essentiellement de l’armée d’armistice par l’intermédiaire de l’ORA et seront plus tard réclamées par le CFP (Corps Franc Pomiès)
Six mois après sa création, en août 1943, le chantier de Moreau est visité par la Gestapo qui suspecte ces curieux forestiers ; Moreau dissout alors son chantier et le capitaine de Neuchèze, au titre de l’administration des Eaux et Forêts, l’envoie à Nogaro. AS et ORA étant pour lors fusionnées, c’est Louis Dalès qui est à la fois responsable local de l’AS et commandant d’un embryon de bataillon de l’ORA, initialement créé par le lieutenant Puga, et dont responsabilité lui est revenue quand ce dernier avait été arrêté.
Au lendemain de l’arrivée de Moreau, le 11 septembre 1943, Louis Dalés se tue dans un accident de moto. Parisot le remplace dans son double rôle de responsable local de l’AS et de commandant du batailIon embryonnaire de l’ORA.
Parisot convoque alors Moreau. Les deux hommes s’entendent pleinement et ils ne se quitteront plus ; ils vont tous deux contacter leurs responsables à Auch et il est décidé que Moreau restera, selon son souhait, avec Parisot. Jeanne, l’épouse de Parisot, raconte qu’à son retour, son mari lui demande d’aller chercher une bouteille de champagne pour fêter cette décision. Connaissant la réserve naturelle de Parisot, cette affaire de champagne en dit long sur sa joie d’avoir recruté un combattant expérimenté qui allait beaucoup apporter au bataillon sous le nom de « capitaine Moreau ».

Combats d’Aire sur l’Adour

Parmi les différentes actions militaires entreprises par le Bataillon de l’Armagnac, la libération d’Aire sur l’Adour a laissé à Maurice Moreau un souvenir assez vif. Il faut préciser que, la veille, les renseignements disponibles signalent pas moins de trois mitrailleuses allemandes placées en batterie dans la descente que le Bataillon doit emprunter pour pénétrer dans la ville. Or Maurice Moreau est chargé de manœuvrer un fusil mitrailleur dans la voiture de tête.  « Je n’en ai pas dormi de la nuit car j’étais certain que le lendemain, j’avais de bonne s chance de me faire tuer », confiera-t-il des années plus tard. Pourtant, à l’heure dite, le capitaine Moreau est à son poste et la colonne se met en branle…

Témoignage de Maurice Moreau :

« Je suis dans la première voiture, l’œil rivé sur le viseur de mon fusil. mitrailleur et je m’apprête, tendu, à affronter la première mitrailleuse, dont j’avais reconnu l’emplacement la veille, sur le plan. Surprise ! L’endroit prévu est désert ! Erreur de ma part, peut-être ?… Continue, dis-je à Ducos, le chauffeur. Le silence est total dans la ville, l’atmosphère lourde, nous parcourons encore quelques mètres, sans rencontrer âme qui vive et arrivons, sans les voir, à hauteur de l’hôtel du Commerce et de la place du Théâtre. Ma voiture a même dépassé cette place, où est stationné entre autre un camion de munitions, lorsque j’aperçois soudain, dans le jour naissant, les mouvements suspects de plusieurs véhicules ennemis. Un sous-officier Allemand se dirige alors vers nous, manifestement curieux de vérifier l’identité de ces vrais faux véhicules, de la Wehrmacht occupés par des individus en civil. Il est à vingt mètres, j’appuie alors sur la détente de mon F.M., ce qui déclenche immédiatement la fusillade générale. Un coup part, l’Allemand tombe, blessé, tué peut-être. Malheureusement mon arme s’est enrayée et il ne me sera pas possible, dans l’immédiat, de la remettre en état.
La deuxième voiture conduite par Pierre Baudéan, avec Jean Laborde comme tireur F.M., se situe alors juste à la hauteur de la place du Théâtre. Elle constitue une cible idéale et est prise à partie, à bout portant, sur son flanc gauche, par les véhicules ennemis. Pierre Baudéan, le chauffeur, est tué sur le coup, Jean Laborde a la jambe gauche littéralement sectionnée par une rafale d’arme automatique, les deux autres étant légèrement blessés, Immédiatement, de son camion, le commandant Parisot réagit en attaquant simultanément, à la grenade explosive et au bazooka, l’hôtel du Commerce, et le camion de munitions qui explose avec ses occupants.
Dans le camp allemand, c’est la panique. De notre côté, nous parons au plus pressé pour récupérer morts et blessés, sous la protection des feux croisés du camion et de la troisième voiture aux ordres de Serge Taesch. Quant à moi, et à mon chauffeur Jean Ducos, neutralisés et contraints d’abandonner notre voiture criblée de balles, nous avons dû, pendant plus d’une heure utiliser des ruses de Sioux, pour échapper à l’ennemi et rejoindre sans encombre le Commandant Parisot, qui s’était replié, avec les rescapés, au pied de la côte du Mas.
Faut-il préciser que toute cette action, s’est déroulée dans un laps de temps n’excédant pas quelques minutes et dans un rayon de vingt à trente mètres, la troisième voiture et le camion étant pratiquement au contact des deux premières autos, immobilisées. »
Après cet épisode, le départ de la garnison allemande s’est fait sous le couvert d’otages civils qui seront emmenés sur les camions qui partent vers Cazères et Dax, avec également un volontaire du Bataillon qui a été fait prisonnier, le Sergent Etienne Dupeau. Ces otages civils, dans le convoi, empêcheront nos sections d’ouvrir le feu. Ils seront heureusement tous libérés, à partir du 20 août, à Dax.
La ville d’Aire est libérée. Vers 15 heures 30, alors que tout est terminé et que l’équipe du raid est rassemblée au carrefour des routes de Bordeaux et de Cazères, des rafales de mitraillettes s’entendent dans la direction d’Aire. Les hommes se couchent dans le fossé, prêts à intervenir, mais on ne peut voir à plus de cinquante mètres sur la route car deux arbres abattus en chicane masquent l’horizon. Et c’est de cette chicane que débouche, tel un bolide, un cabriolet 202, occupé par quatre militaires allemands.
Il aborde le tournant sous une pluie de balles, mais ne s’arrête que huit cents mètres plus loin. Un soldat allemand est trouvé agonisant sur le siège arrière, les autres occupants ont pu s’enfuir. Le lendemain matin, un paysan découvrira, au coin d’un bois, les cadavres de deux d’entre eux, deux officiers supérieurs, dont un Colonel.
Ainsi, malgré les modifications qui ont dû être apportées au plan de l’opération, le bilan est finalement positif. Quatre volontaires du Bataillon sont morts et sept autres blessés. Du côté allemand, les pertes ne peuvent être évaluées, mais elles sont certainement élevées.
La population d’Aire fait aux volontaires du Bataillon de l’Armagnac un accueil enthousiaste, les recevant en libérateurs, comme ils le méritent.
Et, c’est bien en effet, la libération qui commence… »

(Témoignage de Maurice Moreau dans « Le Bataillon de Guérilla de l’Armagnac 158 ème R.I)